Ma chère Médée,
Ma douce Médée,
Ma sublime Médée,

Comme il me tarde de te retrouver, ma merveilleuse. Comme il me tarde d'étendre à nouveau mes doigts dans tes longs cheveux d'onyx. Comme tes lèvres enivrantes me font languir de ta présence. Et si tu savais, ah si, comme le temps défile à vitesse de colimaçon à mesure que les lunes manifestent leur amour à ma place pour toi, ma muse.

35 - Shinies
Tu dois te rendre de l'autre côté du champ de bataille, mais ta maman t'a toujours appris qu'il ne fallait jamais traverser en dehors du passage pour piétons, tu entreprends donc d'en tracer un à la peinture blanche entre les belligérants.
Oh ma douce, si seulement je pouvais te contempler et nourrir mes yeux de ta volupté plutôt que de mourir de dépit face à la bêtise cuisante d'autrui. J'[le texte a été effacé d'usure comme de sang] Tu en rirais, Aura que tu en rirais. De ce vilain qui s'est mis à tracer en nuitée des lignes blanches au sol vers le camp ennemi qui se profilait à l'horizon. Nul manifeste d'amour. Aucun. 'Maman m'a dit de traverser ainsi', nous a t-il simplement dit. Par la déesse comme nous l'avons prié d'arrêter, comme nous l'avons mis en garde, comme nous avons fait le v?u qu'il entende raison avant qu'il ne soit trop tard. Tu aurais apprécié galvaniser, je pense, avec lui jusqu'à épuisement. Tu [le texte a subi de lourds dommages ici, mais l'on a pu retracer la suite pourtant] ... a été retrouvé mort à l'aube. Ils disent qu'il ne savent pas, mais moi je sais. Comme je t'aime et hurle ma fidélité à qui veut l'entendre, j'hurle en moi à l'horreur et prie le Destin pour qu'il fasse justice. Je ne le dirais ouvertement, mais à toi je le peux. Tant que cette lettre ne parvient entre de mauvaises mains, je puis dévoiler ce dont mes yeux ont été témoins.

Les étoiles se faisaient l'amour dans le firmament quand j'ai aperçu un petit groupe formé d'au moins quatre se diriger vers lui, le benêt gentil. Ou plutôt, le guerrier détruit. Il se battait bien au début, il avait même fière allure, et puis il a disparu comme englouti par la vision que lui offrait l'ennemi. Il n'était plus. Remplacé par un je ne sais quoi plus enfantin. Ça nous faisait du bien, quelque part de l'entendre, ma tendre, mais nous avions peur que son sort se propage jusqu'à nous telle une maladie. Je n'ai d'ailleurs rien fait pour le faire revenir parmi nos semblables. C'était comme si son esprit ne lui obéissait plus, comme s'il avait reçu l'ordre de tracer uniquement ? pour fuir, peut-être, l'ennemi. Je ne saurais dire. Mais je sais ce qui lui est arrivé. Je sais comment c'est fini sa destinée, comment - bien que tourmenté et absent - il a hurlé de sa voix à fendre le ciel comme un possédé. Le voile obscur s'est alors fendu d'une ligne claire au moment même où ils l'ont transpercé de leurs épées. Je n'ai pu détourner les yeux de ce pitoyable spectacle se déroulant dans nos rangs. Quelque part je regrette, mais quelque part je ne regrette rien. Je sais. Si j'avais agi, j'aurais périt d'une manière toute autre qu'au combat également. Ils [de nouveau le sang oblitère la lecture]... Je me suis racheté, je l'espère, auprès d'Aura en emmenant sa dépouille à l'écart et en l'enterrant. Puisse les dieux nous bénir et remettre en état son esprit de leur bonté car il méritait mieux que ça.

Si ce n'est plus haut, je me porte bien, nous progressons chez l'ennemi et prenons des terres. Peut-être pour nos futurs enfants, notre futur. Je l'espère.

Je t'aime mon amour, je chuchote ton nom aux lunes en espérant y retrouver ton visage dessiné et entendre ta voix soufflée par le vent.

Ton bien aimé ;
Raphaël.

- Lettre retrouvée sur le corps d'une Cielsombroise dans un village dévasté dans le courant de la guerre mars 1002. -